A. Walther: La Suisse s’interroge ou l’exercice de l’audace

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Titel
La Suisse s’interroge ou l’exercice de l’audace.


Autor(en)
Walther, Alexandra
Reihe
Médias et Histoire
Erschienen
Lausanne 2016: Antipodes
Anzahl Seiten
124 S.
von
Yves Laberge, Université d’Ottawa

Ce livre étudie une série de cinq courts-métrages sur la Suisse moderne tournés par le cinéaste Henry Brandt (1921–1998) à l’occasion de l’Exposition nationale de Lausanne, en 1964, qui a reçu plus de 100 millions d’entrées – en considérant les visiteurs retournés plus d’une fois (p. 20). L’intérêt de cette étude historique réside dans l’analyse de la raison d’être de ces documentaires d’une autre époque, censés montrer la Suisse aux Suisses.

Ces courts-métrages d’Henry Brandt sont: La Suisse est belle (4 min 10 s), Problèmes (3 min 50 s), La Course au bonheur (4 min), Croissance (4 min 10 s), Ton pays est dans le monde (3 min 50 s). Chacun de ces films dure environ quatre minutes et date de 1964; mais en réalité, le cinéaste a travaillé avec sa collaboratrice Jacqueline Veuve durant plus de deux ans à leur préparation (pp. 81 et 84).

Dans l’univers du cinéma documentaire, la question de l’autoportrait national est toujours délicate, comme l’avaient prouvé dans un tout autre contexte certains documentaires produits à la même époque par l’Office national du film du Canada. Mais dans le cas présent, devait-on montrer la Suisse «telle qu’elle est vraiment», c’est-à-dire d’une manière conforme aux habituels clichés enjolivés et aux portraits de famille, ou peut-on se permettre de critiquer le modèle suisse? Autrement dit, devrait-on commencer un portrait national par une critique de sa société, avant même sa description et sa mise en situation? Ce sont précisément les interrogations auxquelles les décideurs (les membres du «comité-directeur») ont répondu par la négative, et tout le livre montre comment Henry Brandt a tenté de manoeuvrer et d’exprimer indirectement ce qu’il ne pouvait pas démontrer directement ou, comme l’écrit habilement Alexandra Walther: «ne pas montrer ce qui a été fait, mais ce qui reste à faire» (p. 78).

L’ouvrage se subdivise en trois parties. Dans sa préface, Malik Melihi souligne fort à propos l’actualité des thèmes abordés initialement dans ces films d’Henry Brandt, même pour un spectateur du XXIe siècle (et j’ajouterais, pour un observateur qui ne serait pas forcément suisse): «pollution de l’air et de l’eau, la surpopulation, le vieillissement de la population, la population étrangère, la surconsommation, la course à l’argent» (p. 12). On comprend que le cinéaste Henry Brandt – dont on pourrait noter le prochain centenaire – a dû faire approuver ses projets avant même l’étape de la scénarisation et faire face à des mises en garde, des avertissements, à des cahiers de charge, à des demandes de refonte (p. 85) de la part d’une multitude de décideurs. Selon la formule éloquente d’Alexandra Walther, le réalisateur Henry Brandt aura néanmoins réussi à «transcender les contraintes» (p. 105). Les possibilités de nuances entre l’hagiographie et la critique semblent relativement minces. Dans un entretien radiophonique datant de 1964, Henry Brandt déclarera spontanément son agacement et son impuissance: «Nous n’avons pour ainsi dire pas la possibilité de faire des films libres» (p. 104).

Les problèmes soulevés par Henry Brandt sont indéniablement pertinents et dépassent une simple description du «sentiment national suisse»: accès limité aux études supérieures, troubles de la jeunesse, vieillissement de la population (p. 77). Mais les questions que le cinéaste a été incité à écarter avant même le tournage sembleront encore plus dérangeantes: «adolescents à problème, le divorce, l’alcoolisme, le suicide, la solitude, la peur des idées audacieuses et nouvelles (…)» et bien d’autres sujets (p. 82). Mais on voit que les films d’Henry Brandt dérangent par les messages qu’ils véhiculent: «Les parents sont obsédés par l’apparence et la consommation. Ils n’ont pas de vie sociale (ils mangent seuls à midi et le père boit un verre en solitaire après le travail)» (p. 93).

Le livre La Suisse s’interroge ou l’exercice de l’audace intéressera particulièrement les historiens du cinéma mais aussi les sociologues, anthropologues et juristes voulant comprendre les mécanismes et rouages de la censure ou, du moins, du contrôle institutionnel du contenu des films et ce, même dans «un pays libre», à une époque où l’expression même d’identité nationale n’existait pas en tant que telle. La principale force de cette démonstration réside dans la quantité d’éléments historiques (liés à la préproduction) et analytiques apportés pour un corpus filmique somme toute très bref, totalisant moins d’une demi-heure. Mais on comprendra qu’en dehors des limites helvétiques, l’intérêt de ce petit livre contenant très peu d’illustrations sera bien moindre. Malgré quelques petites fautes d’orthographe (par exemple le nom du cinéaste d’animation canadien Norman McLaren), le style d’Alexandra Walther est vivant et bien documenté; c’est assurément l’étude la plus précise consacrée à Henry Brandt.

Zitierweise:
Yves Laberge: Alexandra Walther: La Suisse s’interroge ou l’exercice de l’audace, Lausanne: Antipodes, 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 202-203.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 202-203.

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